« Mana pfasha » ou l’incroyable résilience des réfugiés rwandais à Masisi (RDC)

« Mana pfasha » ou l’incroyable résilience des réfugiés rwandais à Masisi (RDC)

Cette photographie montre des personnes déplacées attendant leur « présent » quotidien sur la place « Mana pfasha » à Kitshanga dans le Masisi (Nord-Kivu, RDC) [Crédit Photo Chrispin Mvano Yabauma, avril 2022]

La situation du déplacement prolongé en République Démocratique du Congo (RDC) présente des similitudes et des disparités parfois déconcertantes, suivant les sites. Les personnes concernées par ce phénomène social peuvent être des personnes déplacées internes, des personnes refoulées ou des réfugiés. Généralement installées dans des camps planifiés (avec l’appui de l’UNHCR) ou spontanés, ces personnes déplacées se retrouvent aussi au sein des communautés, dans des familles d’accueil ou tout simplement se débrouillent dans des logis de fortune à leur propre compte. Leur mode de subsistance ainsi que leur modeste contribution à l’économie locale sont aussi diversifiés que les causes de leur déplacement prolongé. A ce stade de la recherche, le présent article de blog essaie de restituer l’état de résilience d’une catégorie de ces déplacés en territoire de Masisi, particulièrement ceux installés à Kitshanga, l’un de nos sites de recherche, dans le cadre du projet PDE.

La rareté des terres arables autour de Kitshanga

La localité de Kitshanga se trouve dans la Chefferie de Bashali, à Masisi, l’un des six territoires de la province du Nord-Kivu. A elle seule, cette province porte un poids considérable des déplacés, soit 34,38 % du stock national, et la RDC elle-même, avec ses 26 provinces, ayant 5,26 millions des déplacés, soit 20% du poids mondial (UNHCR, 2021). Cette zone reste particulièrement impactée par l’accaparement des terres par les plus puissants au détriment de masses paysannes agricultrices, les ,affrontements intermittents entre groupes armés nationaux et étrangers et ensuite avec l’armée nationale congolaise (FARDC), à cause de l’errance des membres de ces groupes armés et de la présence de leurs bases autour de la cité de Kitshanga, qui est en fait un carrefour entre trois territoires : Masisi, Rutshuru et Walikale, dans la province du Nord-Kivu. Ce qui provoque une situation d’insécurité inédite, exacerbée par le mouvement intempestif des populations fuyant les combats et refoulements dans les zones environnantes, et, par voie de conséquence, d’une crise foncière aiguë autour de Kitshanga. En effet, la population déplacée ainsi « entassée » à Kitshanga et aux alentours, ne trouve pas suffisamment de terre où cultiver afin de subvenir à ses besoins, la terre ayant été confisquée soit par des nouveaux groupes armés, soit par des « grands concessionnaires », dont la plupart seraient des acteurs de la violence dans la région.

Le travail quotidien au départ de la place « Mana pfasha »

Lors de nos fréquents séjours de recherche à Kitshanga dans le Masisi, il nous a été donné de contempler un spectacle spécial, une espèce de « marché de travail agricole ». En fait, ces réfugiés rwandais, n’ayant pas de statut légal de réfugiés mais connus localement comme tels et installés au camp Mungote, n’ont pas beaucoup de ressources. Avant ils recevaient, de la part du HCR et des autres organisations humanitaires, de l’aide en termes de vivres et des non vivres (ce qui corrobore avec les données recueillies lors des focus groups et du sondage menés entre août et septembre 2021, puis récemment lors de la première phase des entretiens qualitatifs en février 2022). Toutefois, ils ne reçoivent presque plus d’appui de ces organisations, et ils survivent grâce aux activités informelles dont les travaux des champs, leur principale activité, et qui constitue aussi leur modeste contribution à l’économie locale.

L’endroit où ils se rassemblent le matin, juste à côté de leur camp, s’appelle « Mana pfasha », ce qui signifie en kinyarwanda, la langue parlée par les réfugiés rwandais, « Dieu aide-moi ». Cet endroit est chargé d’histoire. Il est situé sur la route qui mène vers Mweso, Walikale et Rutshuru, à côté d’un ruisseau. Chaque matin, les déplacés, en majorité Hutus (l’ethnie majoritaire au Rwanda), se mettent debout à cet endroit, juste à côté de la route, chacun avec son outil aratoire (houe, machette, hache), et attendent un bon samaritain (un « patron » qui va venir le choisir pour aller labourer son champ ou effectuer toute activité champêtre ou tout autre travail – transport des marchandises, bois, sable, biens divers -, moyennant rémunération. La rémunération est certes dérisoire, par exemple 1500 FC à 2000 FC (soit l’équivalent de 0,75 à 1 $US) pour le labour d’un champ de 5 x 20 mètres. Cette somme d’argent est appelée « présent ». Le gros de la main-d’œuvre est composé des femmes pour le sarclage des champs, le transport des planches, les fardeaux de manioc ou de bananes (25 à 50 kgs), et ce, moyennant un maigre payement qui varie entre 500 FC à 1.500FC par jour (0,25 à 0,75 $US). Le labour et d’autres travaux plus lourds sont réservés aux hommes robustes. Pour ces différents travaux, les personnes de 3ème âge sont carrément exclues du choix et donc abandonnées. Mais les enfants des déplacés sont aussi impliqués dans des travaux manuels, mais à un coût beaucoup plus bas que celui appliqué aux adultes.

Une incroyable résilience en dépit d’une extrême vulnérabilité

Prenons le témoignage de Nikuze (pseudonyme). Nikuze est une réfugiée rwandaise vivant au camp Mungote depuis 2014. Elle est veuve et mère de quatre enfants. Quoique, depuis la mort de son mari, sa vie soit suspendue littéralement au bout de la houe, elle parvient, bon gré mal gré, à subvenir aux besoins vitaux de sa progéniture. Chaque matin, elle se rend sur la place « Mana pfasha », et Dieu l’aide à trouver de quoi nourrir sa famille, car elle est toujours choisie par un « patron » pour le travail quotidien. Voici ce qu’elle a déclaré lors de la dernière visite de notre équipe à Kitshanga :

  • « Dans le camp, c’est toujours difficile de trouver un travail pour survivre. Il faut sortir et aller travailler soit dans les champs de quelqu’un, soit dans la maison de quelqu’un, soit aller se débrouiller dans la cité, au marché, etc. Mais l’activité la plus sûre c’est le travail des champs (labourer, sarcler, planter, récolter, etc.) ; avec ça, je suis sûre d’avoir mon ‘présent’ ».

Le terme « présent » fait allusion au contrôle de présence que l’on effectue habituellement dans les usines ou les entreprises ; lorsque le chef appelle l’ouvrier, ce dernier répond « présent », pour marquer sa présence au lieu du travail. Ici il représente le montant perçu par l’ouvrier agricole.

Il faut ajouter aussi, du point de vue de la sécurité sociale, l’effet protecteur des prêts et autres revenus provenant soit de l’association villageoise d’épargne et de crédit (AVEC), soit de la ristourne appelée « likilimba ». En ce qui concerne la pratique du « likilimba », les membres d’un groupe donné se mettent ensemble et cotisent quotidiennement une somme d’argent, par exemple 1.000 FC ou 2.000 FC (0,5 $US à 1 $US), et la mise totale est cédée à un membre pour l’aider dans ses besoins, et ils agissent ainsi chaque jour. Pour ce qui est de l’affiliation à l’association AVEC, chaque adhérent verse une certaine somme d’argent chaque semaine, selon ses moyens ; les montants varient souvent de 5.000 FC à 20.000 FC (2,5 $US à 10 $US). Et, avec le temps, et selon les besoins, le membre peut faire la demande d’un micro-crédit, comme à la banque, et les responsables d’AVEC accordent au membre un montant au prorata de sa mise hebdomadaire. Le montant prêté au membre peut aller jusqu’à 100.000 FC (50 $US). Aux dires de Nikuze, ce système de microfinance locale aide beaucoup les déplacés à subvenir aux besoins fondamentaux de leurs familles, et voire même à louer un champ pendant une saison, ou à démarrer un petit élevage de poules ou de petit bétail, de manière à accroître leurs revenus, et ainsi améliorer leur vie.

En définitive, malgré la rareté des terres et la forte pression foncière à Kitshanga et ses environs, les réfugiés rwandais, considérés comme des déplacés et donc des personnes vulnérables, arrivent à juguler la crise. Et ils constituent l’essentiel de la main d’œuvre agricole locale, la plus sûre et la plus stable d’ailleurs. Cet aspect non négligeable est un véritable atout pour de nombreuses réfugiées comme Nikuze, car elles ont su et pu créer, avec le temps, de solides liens avec certains propriétaires des champs (« patrons ») qui les emploient désormais quasi quotidiennement. Car beaucoup sont, à l’instar de Nikuze, honnêtes et fidèles. Et ceci leur permet de résister aux vicissitudes de la vie.

José Mvuezolo Bazonzi est le coordinateur du GREC – Groupe de recherche et d’études stratégiques sur le Congo (Université de Kinshasa), et le coordinateur de l’équipe de recherche sur l’économie des déplacements prolongés (PDE) en RDC. PDE (http://www.displacementeconomies.org/) est un projet financé par UK Research and Innovation par l’intermédiaire du Global Challenges Research Fund (numéro de référence de la subvention ES/T004509/1).

Restez Connecté à la Science

Ne manquez aucune découverte ! Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les dernières avancées de la recherche directement dans votre boîte de réception.

Abonnez-vous à Notre Newsletter

Nous sommes une structure de recherche dédiée à la découverte, repoussant sans cesse les frontières de la connaissance.

Tous droits réservés © Grec-Unikin, 2024